Le Monstre (juin 1990)
"Je suis là et je parcours la vie comme si je n’en faisais pas partie. Je croise des gens, je vois tant de choses ! Je viens d’un endroit qui aurait pu être magnifique, qui aurait dû être magnifique. Mais cela n’est pas le cas.
Alors je suis là, et j’observe les autres. Et j’ai toujours l’impression que je n’appartiens pas à leur monde ! Eux, ils voient le bonheur, ils voient la beauté……
Moi, quand je regarde le monde, je vois le pire. Je vois ce dont l’humain est capable, je vois la cruauté, la souffrance, l’horreur ! Même si je ne le vois pas, je sais que tout cela est là, tapi au fond de nous ! Tel le monstre de l’enfance qui se cache sous le lit ou dans l’armoire ! Je vois que tout peut basculer comme ça, l’espace d’un instant ! Car le monstre a un visage humain et me suit où que je sois.
Il me piste, il me guette ! Pas besoin de me retourner, son ombre est et sera toujours là ! Alors je suis là, sans être vraiment là ! Je vis, je me lève le matin…..Mais je n’ai qu’une hâte, me réfugier en moi ! C’est devenu tellement naturel de « faire semblant » d’appartenir à un monde que je ne comprends pas, un monde qui aurait dû être le mien mais ne le sera jamais ! Car le monstre est là, prêt à bondir, prêt à agir et je sais qu’il est là !!
Je sais ce qu’il peut faire, ce qu’il veut faire, alors je fais semblant, je triche, je gagne du temps ! C’est mon monstre, et parfois je croise des gens qui ont aussi leur monstre tapi dans l’ombre ! Certains ressemblent au mien, d’autres sont différents ! Ces derniers savent ce qu’ils sont, ils ne se cachent pas vraiment ! Sitôt chez eux, ils agissent, se déchaînent !!
Et moi, je suis là, avec mon monstre et je vis, du moins j’essaie ! Mon monstre à moi, il est le silence de mon enfance, il est la peur, la colère, il est une partie de moi, il est l’enfant solitaire qui ne disait rien, l’enfant qui écrivait sa colère et sa haine d’un monde qu’il trouvait tellement moche et cruel !
Mon monstre à moi, il sera toujours mon compagnon, il sera toujours là pour me dire que le monde est souvent bien plus moche que ce que croient les autres si insouciants ! Mon monstre à moi, il me dit quand un autre monstre est en approche, il me dit quand l’enfant en moi doit aller sous sa couverture avec son cahier et son crayon ! Car ce monstre en moi, je l’ai apprivoisé, je lui ai montré que le monde peut aussi être beau mais je ne l’ai pas tué car il est plus fort ! De toute façon, le tuer serait aussi me tuer !
Mon monstre à moi, c’est moi-même, c’est moi, le résultat de ma famille ! C’est la version adulte de l’enfant terrifiée face aux adultes, aux géants ! C’est moi, la partie de moi qui me dit que la vie n’est qu’une immense simulation du bonheur mais qui arrive cependant à créer de petites joies quand le monstre dort!"